« Saviez-vous que la salade qui pousse dans la plaine de Montesson – l’une des derniers espaces de culture maraîchère d’Île de France – fait plus de 500 km avant d’arriver dans le supermarché situé à peine à 3 km de là ? »  Le débat, passionné, s’annonce passionnant. Nous sommes sur France Culture en mars 2010, Cécile Duflot et Jean-François Kahn parlent de bonheur. Comment le sujet peut-il se prêter à de tels détours, et surtout, comment se fait-il que ce débat, rapporté sur un billet publié il tout juste 9 ans, n’a hélas pas pris une ride ? Je vous le rapporte quasi in extenso (voir le billet original en cliquant ici https://www.mars-lab.com/billets/les-tribulations-de-la-salade-de-montesson/) avec quelques commentaires de contextualisation surligné en (Gilet) Jaune…

Le bonheur, aspiration à une forme de transcendance, mais laquelle ?

Les raisons pour lesquelles ces deux personnages politiques s’intéressent au destin de la salade de Montesson sont dues au fait que le bonheur semble ne pas être qu’une affaire matérielle. Oui, le bonheur ne serait pas qu’une quête exclusive de possession de biens matériels. « On ne peut pas se contenter d’arborer une Rolex comme signe extérieur de bonheur (sic !) » Petite saillie de Cécile Duflot, pas très gentille (mais rigolote) sur la vision du bonheur à la Séguéla.

« L’homme à besoin d’autre chose, il lui faut atteindre une forme de ‘transcendance’ ». Cécile Duflot s’explique. « Dans sa quête du bonheur, l’homme aspire aussi à quelque chose d’immatériel qui le dépasse (qui n’est pas forcément divin), comme le respect de l’environnement. Il faut se méfier d’un progrès qui prône la logique du ‘toujours plus’ sans se soucier de préserver les ressources naturelles ». Jean-François Kahn, n’est pas tout à fait d’accord (le contraire eut été étonnant, soit dit en passant…). « On ne peut pas sacrifier le progrès pour des idées aussi belles soient-elles. Il ne faudrait pas régresser sous prétexte de préserver l’environnement. » Argh ! Faute… Près de 10 ans après, ce type de raisonnement ne fonctionne vraiment plus…

Changer les modes de production pour un progrès durable…

« Pour envisager un progrès durable, il faut repenser les modes de production du capitalisme. » Et Cécile Duflot de nous raconter les tribulations de la salade de Montesson sur les routes de notre beau pays. « On ne peut plus envisager de balader les salades sur les routes parce que d’obscurs financiers et logisticiens ont décidé qu’il était plus rentable de charger des tonnes de cagettes de salade dans des camions vers une plate-forme logistique centralisée qui les dispatchera dans toute la France. »

C’est sûr que vu comme ça, la salade de Montesson a un drôle arrière-goût de gasoil, ne le dites surtout pas aux Gilets Jaunes … La centralisation à la française, officialisée il y a deux siècles par Napoléon comme modèle absolu de gouvernance, a décidemment encore de beaux jours devant elle… « Ce qu’il faut, c’est retrouver une logique de proximité » dit l’une. « Il faut remettre l’homme au centre ! » renchérit l’autre.

Manque de proximité

Ces propos ne sont pas sans rappeler ceux abordés dans ce blog à de nombreuses reprises depuis 2009à l’occasion de la publication des résultats de notre Observatoire de la vie au travail. Nous avions constaté que ce à quoi les salariés français aspiraient le plus, c’était à plus de proximité au travail, particulièrement vis-à-vis de leur Direction qu’ils jugent trop éloignée de leur préoccupation quotidienne. 9 ans plus tard, le mouvement des GJ ne pouvait pas moins me faire mentir…

« Proximité » et « l’homme au centre » : alors, salades et salariés, même combat ? Oui, même si la salade de Montesson ne semble pas de prime abord avoir grand-chose à voir avec le salarié français moyen, il y a bien un lien entre eux : la performance économique. Oui : sous prétexte de performance économique, les salades parcourent 500 km, au détriment de la performance environnementale. Sous prétexte de performance économique, certains salariés travaillent jusqu’à en développer des pathologies qui nuisent à leur santé et à la performance sociale : absentéisme, stress ou mal-être qui à leur tour pèsent sur la performance sociétale si l’on en juge par les coûts engendrés qui pèsent sur les comptes de la Sécu et donc sur la productivité nationale… Rappelons que la France est championne du monde de productivité individuelle mais aussi de consommation de neuroleptiques…

Investir sur l’humain, ca rapporte en baisse de coûts et d’externalités négatives…

La productivité locale, au sein des entreprises, n’est pas non plus en reste. « Chez Nokia, 1 euro investi contre le stress permettrait d’éviter d’en dépenser 3 » affirmait récemment le Dr Légeron lors d’une interview. Ces propos sont corroborés à par une récente étude canadienne qui montre qu’1 euro investi dans la prévention contre le stress permet d’économiser 7 euros plutôt que de les dépenser pour des soins curatifs. Cerise sur la salade, l’OCDE a montré que 1 euro investi pour lutter contre les RPS permet d’en économiser 13…

Développer le bien-être des salariés au travail peut donc être rentable du point de vue financier. Ne pas accepter cette réalité, c’est se fourvoyer ou être victimes de ses croyances. Cela commence par une prise de conscience de la façon dont la nature humaine fonctionne. La « matière humaine » n’est pas régie par les mêmes propriétés que les autres ressources matérielles de l’organisation : là ou en finance 1 + 1 fera toujours 2,  en RH le résultat peut faire 3 (création de valeur supérieure à la somme des parties) comme 0 (destruction de valeur supérieure à la somme des parties).

Conjuguer les performances : économique, environnementale et sociale en donnant du sens

Il ne s’agit pas d’opposer les performances économique, environnementale ou sociale mais de mieux les conjuguer en pensant l’activité humaine de façon plus globale. C’est tout à fait possible. Des mises en pratiques existent, à un niveau industriel complexe, comme au Danemark où l’on pense les unités de production comme faisant partie d’un tout. Telle unité recycle les déchets de l’autre pour faire qui du ciment qui du chauffage urbain ce qui permet de baisser de 90% les rejets en CO², sans surcoût.

Toutefois, la prise de conscience n’est pas suffisante, il est nécessaire d’agir à bon escient. En effet, on peut vouloir plus de proximité dans son entreprise sans pour autant parvenir à la susciter. Car la proximité ne se décrète pas : il ne suffit pas pour un manager d’ouvrir sa porte en pensant que cela fera venir les collaborateurs dans son bureau. C’est une condition certes nécessaire mais pas suffisante. La proximité suppose d’investir et de s’investir dans la relation avec autrui. C’est donner du sens au travail, tout en travailler sur ce sens. Donner du sens au travail, c’est donner de la visibilité stratégique tout en construisant cette visibilité par l’action collective et de corriger la stratégie en fonction des résultats de cette action ; c’est entre autres, éviter de tomber dans l’absurde de certaines procédures qui ne sont plus adaptées au quotidien des travailleurs. Travailler sur le sens, c’est identifier les valeurs qui fédèrent les salariés, les collectifs de travail dans l’action, afin d’éviter que l’action ne heurte leurs valeurs et les fassent entrer en résistance ; là est le véritable sens hiérarchique du manager : sens du travail et travail sur le sens. En retour, l’exemplarité d’un tel comportement permettra de mettre les collaborateurs en confiance pour qu’ils tissent des liens de proximité et gagnent notamment en estime de soi (cf. le dossier de ce mois) et donc en bien-être, et de les rendre socio-performants.

Pierre-Eric SUTTER

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