Partie 1 – Affections à la santé mentale au travail, maladie honteuse du travailleur?
Dans le contexte des récentes propositions parlementaires relatives au burn-out et aux pathologies psychiques, nous vivons en direct une sorte de schizophrénie à la française : des députés voudraient faire reconnaitre comme maladie professionnelle une pathologie psychique qui n’est pas encore reconnue par les experts eux-mêmes tandis que le ministre du travail lui-même explique qu’il est urgent de se hâter avec lenteur sur le sujet. D’un côté, certains ont l’air de tenter de rattraper le retard que la France a pris en matière de prise en compte des affections à la santé mentale, tout en laissant sous-entendre que s’il y a tant de personnes malades de leur travail c’est la faute aux patrons. De l’autre côté, d’autres insistent pour laisser entendre que ces pathologies mentales, sorte de maladies honteuses des travailleurs, seraient imputables aux problèmes personnels de ces derniers et qu’elles n’ont rien à voir avec le travail. Il serait malhonnête de rejeter la faute uniquement sur le dos des entreprises ou celui des travailleurs car en matière de prévention et de traitement de la santé mentale au travail, les responsabilités sont partagées avec de nombreux autres acteurs.
Loin d’être en odeur de sainteté du fait notamment de l’intensification du travail liée à la financiarisation de l’économie, les employeurs doivent répondre à des obligations en matière de santé au travail qui sont les plus exigeantes au monde. Toutefois, les textes sont relativement flous voire paradoxaux : même si l’article L4121 impose des obligations aux employeurs, obligations de moyens – d’information, d’évaluation des risques, de prévention… – et même de résultats – zéro personne malade à cause de son travail –, le cadre de ces obligations reste assez lâche et inégal en termes de prise en charge des problèmes psychosociaux des salariés. Exemple : pour renseigner le volet “santé mentale“ du Document Unique (DU), le législateur a jugé utile de laisser une page blanche pour la rubrique des risques psychosociaux (RPS), estimant, à juste titre, qu’ils étaient trop multiformes pour être listés, à l’instar des risques physiques. Mais il laisse l’employeur se débrouiller seul, sans le cadrage à une expertise nommément en capacité d’intervenir sur les problématiques psychiques.
C’est sans doute pour cela que les employeurs font le plus souvent face aux problèmes psychiques de leurs salariés en “mode pompier“ – quand il est presque trop tard pour agir et que leur responsabilité juridique commence à être engagée. Ils font alors appel à une myriade de consultants RPS de la dernière heure qui n’ont pas l’expertise pour appréhender ces problématiques psychiques. Le législateur aurait pourtant pu proposer un accompagnement des employeurs dans cette délicate tâche d’évaluation des RPS, il n’est d’ailleurs pas trop tard pour bien faire. S’il est obligatoire de proposer les services d’une assistante sociale à partir de 250 salariés, rien n’est prévu côté suivi psychologique. Qu’est-ce qui empêchent les institutions de mettre en place l’équivalent avec une psychologue du travail? Le coût ? Certainement pas: ce service engendrerait, comme l’ont montré de nombreuses recherches scientifiques depuis les années 1920, une réduction des dépenses de santé. La volonté politique peut-être ? Sans doute, par peur de se mettre à dos la toute puissante profession des médecins… Proposer les services d’un psychologue du travail référent, indépendant mais pouvant se coordonner avec les services de santé au travail, partagé entre plusieurs entreprises, en “pay per use“ pour les employeurs serait une solution aisée à mettre en œuvre dont les retombées seraient largement bénéfiques, tant pour les employeurs et leurs salariés que pour les comptes de la Sécu.
On a pu suivre fin mai 2015 le dialogue de sourds entre le député Hamon et le ministre du travail Rebsamen qui jugeait “complexe“ la reconnaissance du burn-out comme maladie professionnelle. Comment comprendre ces deux sons de cloches différents pour des acteurs du même camp politique? Revenons en arrière. En décembre 2014, 30 députés socialistes publient une tribune pour “imputer la prise en charge du burn-out aux responsables, c’est-à-dire les employeurs“. Il faut dire que pour l’instant, les cas de burn-out et autres maladies psychiques pouvant avoir un cause professionnelle sont pris en charge par la Sécu, donc financée par les citoyens, et non par la branche AT-MP, financée par les employeurs. Fin avril 2015, Benoît Hamon se dit “déterminé“ à profiter de l’examen du projet de loi sur le dialogue social, fin mai 2015, pour réclamer ce geste, qu’“on attend d’un gouvernement de gauche“. Ce serait une petite révolution : car il est extrêmement difficile de faire reconnaître la responsabilité d’un employeur, même en cas de burn-out avéré. Le salarié doit monter un dossier auprès d’un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. Mais la démarche est longue, complexe et exigeante: il faut présenter un taux d’incapacité de travail d’au moins 25 %. En 2013, 512 dossiers sont passés par cette voie, 239 ont débouché sur une reconnaissance. L’argument de la complexité est également avancé par le MEDEF : “Le burn-out ne peut pas être décrété maladie professionnelle car c’est un phénomène très complexe, encore flou, où se mélangent des facteurs internes et externes à l’entreprise“. Difficile d’y retrouver ses petits pour le gouvernement qui officiellement, attend un rapport de la Direction Générale du Travail (DGT) pour se prononcer. Officieusement, sa religion est déjà faite: franchir le cap de la reconnaissance en maladie professionnelle serait se mettre à dos le MEDEF, déjà très remonté par le récent brulot de la pénibilité physique. Le patronat craint en effet qu’en ouvrant la boite de pandore des risques psychiques aux maladies professionnelles, on assisterait à pléthore de dérives et à l’explosion des coûts: des médecins mettant les dépressions sur le dos des patrons ou favorisant des préretraites déguisées.