En ces temps de mutations socio-économiques profondes, la performance des organisations est devenue obligatoire, c’est l’une des conditions de leur survie. La tentation de certains dirigeants est forte d’en demander toujours plus à leurs collaborateurs. Cette performance ne peut être exigée à n’importe quel prix humain, ce serait pour ses dirigeants se tirer à moyen terme une balle dans le pied. A quoi bon en effet accroître la rentabilité des entreprises en détruisant une partie du capital qui permet de l’obtenir, i.e. les acteurs humains qui la suscite ?

Certains arguent qu’en payant les salariés, on peut tout exiger d’eux, d’ailleurs, ne demandent-ils pas régulièrement à être mieux payés ? Nombre de chercheurs montrent pourtant que ce n’est pas l’argent qui est le mobile profond de l’être humain au travail, même s’il contribue à son bien-être matériel, illustrons ce point par deux exemples de travaux de recherche scientifique. L’économiste Easterling a montré dès 1974 que, même si la satisfaction de vie est correlée avec l’accroissement salarial, on assiste à une saturation de cette satisfaction de vie au-delà d’un certain seuil de richesse, tant individuelle (revenus et biens de consommation acquis) que sociétale (PIB). Autrement dit, dès lors que les besoins primaires sont assouvis, l’argent n’agit plus sur la mobilisation des travailleurs qui rechercheront d’autres leviers motivationnels plus immatériels, comme notamment l’utilité sociale ou la reconnaissance symbolique. Dans la même perspective, le psychologue Seligman (et nombre de chercheurs du courant de la psychologie positive qu’il a fondé) montre, depuis la fin des années 1990, combien les ressorts du bien-être sont causes de performance – et non l’inverse. De plus, lorsque le bien-être est ressenti durablement, il contribue à faire baisser les maladies cardio-vasculaires, première cause de mortalité dans le monde.

Ces travaux contribuent à battre en brêche l’idée reçue que l’argent est le principal levier motivationnel au travail. Peu à peu, l’idée que développer une politique bien-être au travail puisse contribuer à accroître simultanément la santé mentale – et la santé tout court – des salariés ainsi que la performance des entreprises fait son chemin. Cette idée mobilise de plus en plus l’opinion, les pouvoirs publics et nombre d’organisations. Depuis quelques années, rapports et cadrages réglementaires se sont succédés, contribuant à faire du bien-être des salariés l’un des leviers de lutte contre les sollicitations négatives des salariés, qu’elles soient physiques ou mentales. Il est des signaux qui montrent que les choses bougent : depuis la signature de l’ANI (accord national inter-professionnel) relatif au stress au travail, il semble que la France soit sortie d’une certaine forme de déni en la matière. Il était temps, il en allait de la compétitivité nationale car désormais, performance sociale se conjugue avec performance économique.

Mais beaucoup reste à faire. L’émergence d’un nouveau fléau professionnel, le burn out, montre que les mentalités ne changent que trop lentement. Même si les chercheurs, la réglementation, les pouvoirs publics et les médias poussent les organisations à prévenir les sollicitations négatives qui affectent les salariés, force est de constater que la souffrance au travail n’est pas qu’une posture idéologique quand certains en viennent à perdre leur vie à tenter de la gagner. Une récente étude du cabinet Technologia montre que 12,6% des salariés français sont en pré-burn out (voir notre dossier sur le sujet). Cela ne signifie pas que 3 millions de français sont en train de faire un burn out, loin sans faut. Mais combien de salariés vont sombrer, à moyen ou long terme, dans cette pathologie professionnelle lourde et dans quelles entreprises : 100.000, 500.000, 1 million ? Combien cela va-t-il coûter à la Sécu, aux entreprises ? Quand on sait que dans les cas de burn out les plus graves l’ardoise peut s’élever à 500.000 Euros pour l’employeur en cas de faute inexcusable avérée (coûts directs et indirects), on se dit qu’avoir une visibilité sur ce phénomène rampant est fondamental avant d’agir. Car agir sans avoir pris la mesure de l’état de mal-être et/ou de bien-être des salariés d’une organisation s’apparente à prendre une médication sans avoir procédé à un diagnostic préalable. Par ailleurs, il convient de s’assurer que l’on est face à du burn out et pas à autre chose. De quels indicateurs se doter pour poser un regard objectivé sur l’état des salariés ? Comment évaluer les facteurs qui pèsent sur la performance des salariés, jusqu’à parfois menacer gravement leur santé, en évitant les approximations, les idées reçues, les idéologies infondées voire les contrevérités ? Comment agir au sein des organisations pour avancer à bon escient sur le sujet ?

L’Observatoire de la Vie Au Travail (OVAT), créé par mars-lab, tente de répondre à ces enjeux depuis 2008. Développé à partir de l’expertise de praticiens réputés et de chercheurs associés au CNRS spécialisés dans le domaine des risques en sciences humaines, il prend annuellement la mesure de la performance sociale des entreprises et du secteur public en France, un rapport annuel des résultats vient formaliser cette prise de température (il sera disponible cette année à partir du 17 novembre). Ces résultats sont souvent surprenants, ils viennent bouleverser nombre de stéréotypes en la matière. Tirés du vécu des travailleurs, ils sont autant de signaux forts invitant à repenser les fondamentaux du travail, notamment en abandonnant les lunettes construites durant les Trente Glorieuses. De nouveaux idéaux et façons de vivre le travail émèrgent, loin de certaines idées reçues – comme celle du « CDI sinon rien » ou celle du « travail contre salaire » qui ne sont plus le grâal du bien-être au travail. Un livre blanc, publié en 2013, est venu courronner ces travaux.

Après ce livre blanc, l’OVAT va porter une étude à partir du 3 novembre sur le burn out au travail, pour compléter et approfondir les résultats de l’étude de Technologia, notamment sur les facteurs organisationnels susceptibles de causer cette pathologie professionnelle. Cette étude, qui sera publiée courant 2015, viendra affirmer certaines tendances de fond déjà identifiées, ou révéler de nouvelles évolutions. Nous espérons qu’elle aidera les acteurs institutionnels, les dirigeants, les DRH, les managers, les représentants du personnel et les travailleurs à approfondir cette notion de burn out qui les concerne tous, à mieux en prendre la mesure pour agir avec justesse sur les facteurs qui le génèrent et contribuer positivement à la mutation du travail, pour l’intérêt de tous. Pour passer l’enquête sur le burn out, cliquez ici

Pierre-Eric SUTTER
@sutterpe

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