« A quoi sert un syndicat ? »
Ce premier mai, jour férié fétiche s’il en est pour le psychologue du travail que je suis comme pour la quasi majorité des travailleurs, je ne suis pas allé travailler en l’honneur de la fête du travail. Mais je ne suis pas non plus allé défiler avec les syndicats, comme la quasi majorité des travailleurs. J’en ai profité pour me reposer de ma dure semaine de labeur – certes réduite à 4 jours cette semaine grâce aux combats syndicaux et aux acquis sociaux de notre beau pays – j’en ai également profité pour lire le journal en fin de journée. Un article du Monde ne manque pas de me stupéfier rien que par son accroche – il faut dire que je n’avais pas encore eu connaissance du taux de participation des traditionnels cortèges syndicaux –: “à quoi sert un syndicat ?“
Deux fois moins de participants que l’année dernière…
J’ai d’abord cru à un poisson d’avril décalé d’un mois mais Le Monde est un journal trop sérieux pour se prêter à ce genre de canulars et encore plus à feindre d’ignorer la finalité syndicale. C’est alors que plein d’étonnement je commence à parcourir l’article, impatient de comprendre ce qui a bien pu passer dans la tête du journaliste auteur de cet article, je tombe sur les statistiques de participation à la fête du travail : 110.000 participants selon la CGT (contre 74.000 selon la police) dans toute la France. Pour une fois le débat des statistiques de tourne pas autour de savoir qui des syndicats ou de la police a tort ou raison. Cette année, que ce soit la CGT ou la police qui l’affirme, tous sont d’accord pour constater qu’il y a eu deux fois moins de participants que l’année dernière. Deux fois moins de participants ??!! Effectivement : à quoi sert un syndicat si personne ne vient défiler derrière lui ?
Du désenchantement des travailleurs…
Mais pour défiler contre quoi ? Pour défendre quoi ? “A part se défendre eux-mêmes, on ne sait plus très bien à quoi ils servent les syndicats“ me disait brut de décoffrage un ouvrier d’une entreprise de l’industrie du papier au sein de laquelle j’intervenais pour dénouer les causes d’un climat social médiocre et de risques psychosociaux rampants. Ce salarié n’est hélas pas seul à penser de la sorte. Un récent sondage réalisé les 22 et 23 avril dernier indiquait que moins d’un Français sur deux juge les syndicats utiles (45%) et moins d’un sur trois (31 %) pense qu’ils sont représentatifs des salariés. Aïe ! Moi qui pensais que le syndicalisme était l’un des instruments de l’exercice démocratique au sein de notre belle contrée, patrie des droits de l’homme, j’ai pris un coup au moral, ou plutôt à mon idéal. Les travailleurs ne se sentiraient plus représentés par ceux qu’ils élisent pour jouer le rôle de contre-pouvoir contre le patronat, pire ils n’en voient pas l’utilité. Comment en est-on arrivé à un tel désenchantement ?
… à leur manque de reconnaissance du ventre ?
Il faut relire l’Assommoir de Zola pour se souvenir d’où vient la France en matière de droit social. Lors de ce qu’il est convenu d’appelé le premier âge du capitalisme, le monde du travail rime avec précarité absolue pour les ouvriers, nouvelle classe de la population appelée à travailler dans les fabriques. Ceux-ci n’ont pas le droit de se constituer en syndicat, ils subissent vexations, injustices sociales ou licenciement sans pouvoir sourciller. En 1884 sous la III° République, la loi Waldeck-Rousseau autorise enfin la création des syndicats, interdite depuis 1791 par la loi Le Chapelier qui se méfiait des corporatismes, i.e. le pouvoir des corps intermédiaires, nuisible à l’esprit du Contrat Social de Rousseau sur laquelle elle s’était paradoxalement appuyée. Progressivement, le progrès social se met en branle. Lors du deuxième âge du capitalisme qui voit son apogée durant les Trente Glorieuses, le progrès social est à son faîte, il ne se cantonne plus qu’aux ouvriers. Même les 35 heures, ultime avatar de ce progrès social à la française, bénéficie aux travailleurs cadres. On en vient à se dire que les français manquent cruellement de reconnaissance du ventre à l’égard de ceux qui ont contribué à leur bien-être social professionnel, ils pourraient tout de même défiler derrière eux, non ?
Des syndicats insuffisamment unis et souples
C’est que depuis le 3° âge du capitalisme, arrivé avec les chocs pétroliers et la crise, bien des choses ont changé. Il faut avoir fréquenté de grandes organisations publiques ou privées pour comprendre comment le système syndical s’est hélas grandement dévoyé de sa vocation initiale. Le journaliste du Monde donne un début d’analyse qu’il parait intéressant de citer : “Plus un syndicat est représentatif, plus il pèse. C’est le cas en Allemagne, où les syndicats, moins nombreux, représentent environ 20 % des salariés; outre-Rhin, ils sont aussi plus souples face à la Direction – ils ont par exemple accepté, dans la branche métallurgie, un gel des salaires en contrepartie d’un maintien de l’emploi pendant la crise.“ Premiers indices d’explication, nos syndicats, trop nombreux, ne sont ni assez unis ni assez souples, ils ne sont pas assez d’accord entre eux sur les luttes à mener et les choix à opérer. La France est le pays de l’OCDE où le taux de représentativité est le plus faible: 8% pour l’ensemble, 5% dans le privé, ce taux devant être divisé par le nombre de syndicats présents dans l’entreprise. Comme nos syndicats s’arcboutent plus sur les salaires que sur l’emploi, il y a moins d’ouvriers ; ça ne laisse plus au final beaucoup de salariés susceptibles de se sentir concernés par les syndicats…
Syndicats : un contre-pouvoir… sans contre-pouvoir ?
Par-delà, à l’instar du paradoxe de la loi Le Chapelier qui visait à l’expression directe des salariés et qui en est arrivé à produire l’exact contraire, on peut se demander si les syndicats, créés pour être des contre-pouvoirs, ne souffrent cruellement pas de ne pas avoir face à eux de véritables contre-pouvoirs. Si tant est qu’ils sont les contre-pouvoirs nécessaires des employeurs, qui peut vraiment se prévaloir d’être le contre-pouvoir des syndicalistes ? Pas grand-monde, si ce n’est le peu de salariés qui les élisent ! Sanctionner (positivement comme négativement) un syndicat lors des élections ne suffit pas à recadrer tous ceux qui “profitent“ de la situation de salarié protégé en la dévoyant pour bénéficier d’avantages qui n’ont rien à voir avec leur rôle et qui ne font que déjuger la fonction qu’ils représentent. Loin de généraliser des cas isolés, même si ceux-ci nuisent à l’image des représentants syndicaux, la plupart du temps, on rencontre sur le terrain des individus sincères et honnêtes qui cherchent à concrétiser l’idéal syndical. Il est urgent de s’interroger sur cette désaffection syndicale en réformant le syndicalisme lui-même, en permettant qu’il ait un réel contre-pouvoir, si on ne veut pas qu’un jour il n’y ait vraiment plus personne qui viennent défiler le 1er mai…