L’actualité récente est riche, hélas, en événements traumatiques. Ces événements, amplement relayés par les médias, affectent psychologiquement les victimes, bien sûr. Mais ils sont susceptibles de toucher tant leur entourage proche que celui plus lointain des spectateurs stupéfaits que nous sommes, face à la violence ou à l’étrangeté de certains actes (ceux contre Charlie Hebdo ou l’A320 de la German Wings pour les plus récents et que nous avons traités dans ce blog). Les psychologues s’agacent parfois du traitement médiatique qui en est fait, particulièrement de la façon dont sont nommés les maux psychiques dont semblent souffrir tant les victimes que les auteurs de ces événements. Pour expliquer l’acte malheureux du jeune co-pilote allemand ayant conduit au crash de l’A320 de la German Wings, on a entendu parler pêle-mêle de dépression, de burn-out, de troubles psychiatriques, de folie… Autant de termes utilisés improprement pour traduire véritablement la problématique dont semblait souffrir le co-pilote, même si certains sont en partie justes. Comment ne pas effrayer ceux à qui on a dit qu’ils souffraient de l’un de ces maux en laissant sous-entendre qu’ils pourraient mal finir ou que leur entourage devraient s’en méfier?

Partie 1 – Troubles psychiques : de la difficulté à poser les mots sur les maux

Mais les journalistes ne sont pas les seuls à être en reste. Les praticiens, experts ou institutionnels eux-mêmes ont parfois toutes les difficultés pour nommer les troubles psychiques, parce que les concepts desquels ils découlent sont complexes, les tableaux nosographiques sont incomplets parce qu’en constante évolution, les débats d’experts en deviennent plus qu’abscons. L’encadrement réglementaire, le diagnostic et le pronostic qui devraient être posés n’en sont que plus malaisés. De plus, la prise en charge étant parfois partagée entre plusieurs types de praticiens (médecin-psychiatre, psychologue et/ou psychothérapeute), il est difficile pour une poule d’y retrouver ses petits. Rien que la définition de la santé pose en soi une complexité qu’il faut avoir saisi pour savoir parler à bon escient de ces troubles. D’autant qu’en matière d’intervention l’accent est désormais mis davantage sur le caractère préventif que celui curatif de ces troubles. Ceci attire un certain nombre de praticiens de champs connexes, non formés aux aspects biopsychiques, qui s’autorisent à penser, en l’absence d’une réglementation empêchant l’exercice illégal de la psychologie, qu’ils ont une légitimité pour intervenir. Cela les pousse à jouer aux « apprentis-sorciers » et à franchir certaines limites, parfois dangereuses, en donnant l’illusion qu’ils sont compétents, comme par exemple dans le domaine des risques psychosociaux, alors que certains n’y ont été formés que quelques jours, alors qu’un Master en psychologie suppose une formation de cinq ans au moins…

Attardons-nous sur la définition de la santé. Selon l’OMS, “la santé est un état de complet bien-être physique, mental et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité“. Une lecture trop linéaire, trop binaire de cette définition ne permet pas de saisir toute la subtilité du réel auquel elle renvoie. Fréquemment, la plupart estime que la santé c’est l’absence de maladie physique. Or avoir une bonne santé c’est aussi être bien tant dans sa tête – au sens scientifique de “santé mentale positive“ – que dans son environnement social et sociétal. La dimension mentale (cognitive et affective) tient toute sa place aux côtés des dimensions physique et sociale sur lesquelles elle interagit. Être bien dans sa tête, ce n’est pas seulement se sentir bien ou se faire du bien. Être bien au sens de la santé mentale positive, c’est disposer d’un capital bien-être suffisant pour combattre les sollicitations négatives issues de l’environnement et éviter de les subir jusqu’à en tomber malade. Ce capital bien-être ne se réduit ainsi pas seulement à la seule dimension hédonique i.e. le plaisir ressenti, que les anglo-saxons appellent le “wellness“, partie sensorielle du tout « well-being ». Il se complète également d’une dimension eudémonique, i.e. le sentiment d’accomplissement et de bonheur (pour en savoir plus, voir notre dossier sur « mesurer le bonheur des salariés »

Pour comprendre les enjeux en présence et l’intérêt que ce débat présente pour les organisations, prenons l’exemple de la dépression, souvent confondu avec un coup de déprime passager ou avec le phénomène duburn-out. Les troubles de l’humeur (la tristesse, la colère, l’euphorie…) se situent schématiquement sur un continuum bipolaire: l’un tendant vers le positif et l’autre vers le négatif. Ainsi les troubles psychopathologiques graves (les psychoses, les dépressions se situent à l’extrême du pôle négatif tandis qu’un état complet de bien-être se positionne sur l’autre extrême. Sauf que l’être humain étant complexe et multipolaire (comme nous l’avons vu, c’est un être au moins “biopsychosocial“ selon l’OMS), il est rarement positionné durablement sur les extrêmes de ce continuum. Il peut par exemple être handicapé (avoir perdu l’usage de ses jambes) mais avoir un mental d’acier (parce qu’inséré professionnellement et socialement), ce qui compense cette limite physique. A contrario, il peut disposer de toute son intégrité physique ou sociale mais ressentir un profond mal-être qui vient obérer son efficacité physique parce qu’il est sous pression dans son job et au bord du burn-out. Ainsi, un coup de déprime passager peut devenir une dépression parce que le capital bien-être de tel individu est insuffisant pour enrayer une tristesse qui s’installe, qui devient de plus en plus chronique et intense.

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